Epouvante ordinaire

12 juillet 2012, Bourdeaux — Certains prient, d’autres pleurent. Moi, je ne peux me résoudre à ne rien écrire. C’est un sortilège. J’ai appris hier, en filant comme un voleur vers le sud de la France, qu’un Zodiac dégonflé en perdition, qui était parti de Libye fin juin chargé d’une cinquantaine d’Erythréens et d’une poignée de Somaliens, avait été retrouvé l’autre jour au large des côtes tunisiennes. Accroché à ce qui restait du canot pneumatique, un survivant, brûlé et déshydraté, a raconté son cauchemar à une délégation du HCR, sur son lit d’hôpital à Zarzis. C’est une épouvante, l’un de ces nombreux récits que ceux qui s’intéressent d’un peu trop près à la catastrophe vécue par les évadés de la Corne de l’Afrique recueillent depuis des années. Sans effet, sinon celui de se voir affublé du titre un peu ridicule de « spécialiste » lorsque des confrères journalistes appellent.

Le nouveau Maghreb maltraite autant les Africains que les anciens tyrans

A chaud, deux questions me viennent à l’esprit. Que faire pour en finir ? Que va-t-il advenir du survivant ?

A la première question, une seule réponse ne suffirait pas. Mais il reste que, peut-être, se trouve là l’un des échecs les plus désastreux des révolutions arabes. Les « migrants clandestins », comme on dit stupidement, passent par la Libye ou l’Egypte pour gagner les refuges de la démocratie parlementaire. Les mafias locales, trafiquants, bourgeois et policiers, en tirent un bénéfice substantiel, de mèche avec quelques potentats érythréens en place, comme je l’ai déjà raconté ici. Sans doute serait-il pertinent de s’intéresser aussi à eux et aux politiques menées depuis l’année dernière par les nouveaux pouvoirs du nouveau Maghreb, qui maltraitent autant les Africains en transit sur leur territoire que les anciens tyrans.

A la deuxième question, il n’existe pas encore de réponse. J’imagine pourtant que le HCR, l’une des quelques agences de l’ONU qui fournissent un travail remarquable, va suivre et soutenir ce martyr, lui trouver une chambre et des médecins pendant quelques mois, avant de lui proposer l’un de ces programmes d’installation dans un pays tiers, en Amérique du nord ou en Scandinavie, qui faisaient rêver ses compagnons de naufrage, avant qu’ils ne meurent de déshydratation et coulent en Méditerranée. Notre rôle, à nous tous qui nous sentons impuissants, commencera là.

Entre-temps, on notera que le Haut commissaire adjoint aux réfugiés a appelé les navigateurs à porter secours aux réfugiés en dérive sur la mer. En contravention avec les infâmes lois sur la criminalisation de l’aide à l’immigration clandestine en vigueur en Europe, et notamment en Italie et en France.

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